• De   Mercier Lacombe…… à Sfisef : Pleure Ô pays bien aimé                                                                        Dr Driss REFFAS

« Toute vérité est une route tracée à travers la réalité »-Henri Bergson.

Cinquante cinq ans après, Mercier Lacombe d’antan et Sfisef d’aujourd’hui, mon village natal, berceau de mes aieux, de Sidi Yahia ould Ziane à mon père hadj Abdelkader ould Ziane, nous offre deux tableaux bien différents.Les couleurs du deuxième sont hideuses à travers lesquelles se dégage un panorama qui exalte la déchéance environnementale multidimensionnelle.Et dire que Sfisef reflétait, la beauté, le savoir et la culture.Aujourd’hui, le néant a pris place malgré, l’intelligence et la fougue de sa jeunesse.Cette dernière, pétrie de qualités n’arrive pas à se positionner pour prendre place sur la selle du « cheval du  temps », afin de consolider sereinement son avenir.Dans le néant, on tue le temps, au lieu d’avancer avec lui. A soixante trois ans, je vous raconte mon village,ma cité adorée, dans laquelle  j’ai humé sa terre, et son odeur fait vibrer mes narines à ce jour.Au moment crucial, elle me reconnaitra pour m’offrir le gîte éternel.

Mercier Lacombe, mon village natal, l’espace de mon enfance, lieu de mon école universelle , nature du savoir prodigué avec mesure, sincérité et moralité résolue. Ses odeurs habillent mon corps et fertilisent  mes pensées pour faire nourir davantage ma nostalgie.Cette dernière m’empêche insidieusement d’avancer avec le temps. Je reste accrocher au parfait, à l’insouciance et à la beauté du paronama, jadis dans toute sa dimension.Hideux de nos jours, il emprisonne mes reflexes jusqu’à faire veillir mon sourire et ma joie de vivre. Mercier Lacombe d’antan, cité où je suis né le matin d’un jour de décembre, c’était un mercredi.

Un brouillard de souvenirs égaie mon existence. Mon premier jour de classe et ma première lettre prononcée en la fixant du bout de mon doigt. C’était le livre  à l’usage des classes de cours préparatoires des écoles nord africaines. Le pauvre Ali, durant toute l’année, hiver, automne, printemps, comme été, il portait la calotte rouge, un short et une paire de chaussures. Il se distinguait de Omar et Slimane que par sa calotte rouge. Le parc des loisirs abritant le colosse millénaire ou « Arbre de fer », nous offrait après l’école et pendant le week end, l’utile moment d’évasion propre et éducatif . La grande rue, le boulevard d’excellence de ma cité, prenait naissance de la station d’essence de monsieur Chantreuil qui  indiquait l’entrée du village en venant de Sidi Bel Abbès, pour prendre fin  au coin de la somptueuse demeure de monsieur Henri Laforgue  sur la route de Bouhanifia.Tout le long de notre fétiche grande rue, on pouvait agréablement identifier  les fastueux jardins qui ornaient le kiosque de musique et l’église St Michel, la poste et le tribunal qui présentaient une architecture commune, la station de lavage et la quincaillerie de monsieur Batty, l’hôtel-Bar-Restaurant de monsieur Boisserand, l’épicerie fine de madame Solès Cohen faisant face au « café-bar de la poste » de monsieur Landais, la boulangerie de monsieur Santoya,les demeures d’Henri et Marcel Laval , l’agréable magasin d’alimentation général de monsieur Molinès tout près du café-bar de monsieur Amoros, le restaurateur Cuenca, la banque populaire et le crédit lyonnais , et enfin la petite et agréable librairie de monsieur Vignon, personnage à la silhouette élancée .Il portait une paire de lunettes discrète, celle de l’intellectuel.La mairie et le monument aux morts se dressaient au milieu d’un espace vert où on pouvait apprécier le gazon naturel, le romarin, la rose, la marguerite et les somptueuses allées bordées de palmiers bien entretenus.Eclairées par la lumière discrète des réverbères, elles offraient les moments de vueltas nocturnes  des belles nuits méditérrannéenes d’été.

Mon père, l’indigène léttré , le préprateur en pharmacie,en  blouse blanche, s’occupait du laboratoire de la pharmacie André Guyot. Un pharmacien modèle , qui parlait peu et conseillait beaucoup. Presque tous les dimanches matin, et quand il faisait beau, il s’engouffrait en compagnie de mon père dans la vaste forêt qui surplombait le village, pour cueillir les herbes utiles pour la préparation des recettes médicamenteuses pour les banales pathologies courantes pendant la saison hivernale, et autres pour réguler le transit intestinal durant l’été, la saison de la pastèque et du raisin accessibles presque gratuitement à la petite bourse indigène. Le marché couvert pour les emplettes quotidiennes, ses alentours qui grouillaient chaque mardi, donnait lieu et place au souk hebdomadaire indigène. Le minaret de la mosquée marquait sa présence en face du clocher de l’église. Le respect entre les communautés religieuses de mon village répandait la tolérance jusqu’à conquérir l’insoupçonnable communion.La fête religieuse était souvent régulière dans tous les foyers, notamment juifs et musulmans. Le chrétien ne sortait pas de la marge des autres festivités cultuelles. La présence était le signe pour casser l’interdit, fossé de l’harmonie qui cimente les  différentes prières  de ma cité. La salle de cinéma le «Splendid », la salle de musique, la bibliothèque de l’école et la projection hebdomadaire du film éducatif, imposaient une activité culturelle qui rayonnait sur  tous les âges.

Mohamed, Abdelkader, Ali, Kaddour, José, Miguel, Juanito, l’école de la Gare leur prodiguait le savoir dans un cursus limité dans le temps, réservé au colonisé et à l’européen du collège de la misère. Seule la langue différençiait l’européen de souche espagnole de l’arabe indigène. L’enseignant souvent engagé, veillait au grain pour éviter la déperdition scolaire omniprésente dans l’école indigène. Un effort humanitaire mal apprécié par la hiérarchie qui gérait l’éducation du colonisé. L’école du centre, l’habit neuf, la gomina, le casse-croûte de la récréation et l’enseignant choisi pour la race supérieure, était situé au centre du village, tout près de l’église, entouré des espaces verts publics que les jardiniers entretenaient journellement. L’école des filles, dans le même périmètre que celle des garçons était destinée aux filles des colons et celles de la petite bourgoisie indigène. Les autres filles, aux sandales de caoutchouc hiver comme été, étaient regroupées avec les garçons à l’école mixte indigène des baraquements métalliques, située au quartier des jardins aux alentours du marabout du village’Sidi Yahia’.Un grillage métallique séparé l’innocence des deux sexes.  Je me suis enfoncé dans un passé, douloureux fut-il, néanmoins, il présente, un parfum évocateur de souvenirs où l’amour intrépide défie l’obscurité de la pensée humaine.La jeunesse de ma génération, loin des innovations technologiques d’aujourd’hui, était beacoup plus sereine que celle d’aujourd’hui.Tout était agencé dans le meilleur, de l’école à la beauté du panorama culturel, cultuel et verdoyant.C’était Mercier Lacombe de mon enfance, et Sfisef de mon Adolescence. Pleure, ô village bien aimé.